Salut les gastéropodes entêtés,
Parfois, il y a des matins de pluie où le jazz s’invite au pas de la fenêtre, réchauffant les pensées refroidies par l’atmosphère humide, ravivant les cœurs desséchés par ces temps de transition. Un café à la main et le regard au loin, c’est dans la frénésie des réflexions matinales que l’on se permet de divaguer sur d’autres continents essoufflés, imaginaires, réels.
Et en cette belle journée de pluie et de vent sur laquelle débute cette rédaction, une pensée m’est venue au cours d’une écoute, puis d’une lecture d’un livre pris au hasard qui, au final et sans grand étonnement (nous ne le devrions plus à ce stade), se répondent et se font écho dans leurs propos et leurs idées.
Voyons donc ce qu’un podcast tardif et un livre matinal, ont pu m’offrir pour terminer et débuter ces journées.
Le divertissement, un fléau inconscient
La peur de l’introspection, la quête du comblement
La perte du libre arbitre ; de la libre pensée
Il ne s’agira que de réflexions et d’inspirations avec un avis propre, mais qui a été stimulé grâce à l’écoute et la lecture de ces sujets. Pour retrouver la totalité de ces pensées inspirantes, je vous redirige vers les « Sources » en bas de page.
Et pour l'illustration de cet article, j'ai choisi les quelques clichés pris à la volée de la ville de Huahine durant mon court séjour là-bas. Car au final, je trouvais ça pertinent d’opposer ces propos forts en technologie avec ces images teintées d’un Tahiti d’antan encore bloqué dans un espace temps continuellement rêvé et fantasmé.
Le divertissement, un fléau inconscient
Dans un monde où les réseaux sociaux dominent la sociabilité de tous les humains et que l’internet universel est présent sur la majorité des continents, l’on pourrait se dire que cette invention révolutionnaire est un tremplin dans le partage du savoir et des connaissances à travers le monde. Mais je pense qu’il serait une utopie de penser ainsi.
A une ère où la haine affichée et les mots sanglants, gracieusement donnés à travers un écran de led et sans reflet, l’humanité ne s’est probablement jamais autant désintégrée de l’intérieur.
Il suffit de regarder les jeunes, et moins jeunes (car oui, les mauvaises habitudes se transmettent vite), le nez planté sur un écran, face au vide et au divertissement pour faire passer le temps, pour parler à des amis qui sont en face de nous, pour regarder des vidéos inutiles tandis qu’ils sont à un repas de famille, à partager leur “vie idéale” alors qu’ils sont à la plage avec des proches... Nous n’allons pas énumérer tous les cas de figures car il s’agit littéralement de tous ces temps de vie qui sont mis en suspens, mis en pause, dans une bulle irréelle où l’apparence des écrans prônent sur la santé mentale, l’instant présent et le silence de soi.
« Nous ne voyons pas la nature, l’intelligence, la motivation humaine ou l’idéologie comme elles sont, mais seulement comme notre langage et nos médias nous le permettent. Nos médias sont nos métaphores, et nos métaphores créent le contenu de notre culture. » (1:51) - L’Addiction au Divertissement : La Cause du Déclin Intellectuel et Culturel.
A une autre époque, l’on se nourrissait à travers l’écriture et l’oralité. Désormais, l’on se divertit visuellement à travers la télévision et les écrans de téléphones.
On ne prend plus le temps et surtout l’effort de lire : de faire cet acte de concentration sur un texte écrit. On préfère largement la facilité des images, laissant notre imagination dans une boîte à chaussure moisie et terreuse grâce à ce travail prémâché des médias.
A l’image de ces néons de supermarchés qui frétillent à cause d’un faux contact, nos yeux sont en crise d’épilepsie constante (mais non ressentie), face à ces écrans de divertissement massif, nous offrant sur un plateau d’argent des idées soigneusement sélectionnées, éteignant avec loisir la concentration, le silence, la réflexion et l’imaginaire.
Et dans ce divertissement constant, l’on n’a même plus conscience de nos actes, de notre dos courbé sur ce rectangle de technologie, les épaules abaissées, le regard amorphe, la tête tombant sur le sol, répondant à des besoins devenus primaires pour oublier de penser et faire taire les voix de l’introspection. Le corps s’affaisse, il s’affaiblit, il se meurtri lui-même, plongeant tête la première dans cette mare de pétrole d’où s'extirpe le chant des sirènes, attirant sans relâche et irrémédiablement notre âme égarée.
On scroll, on scroll et on a déjà perdu 1h sans le voir.
La peur de l’introspection, la quête du comblement
Ainsi, cette quête du comblement du temps avec les écrans durant les moments de pause (bus, bouchons, trains, pause de travail, salle d’attente…) invite à une grande réflexion. Alors que nous sommes à une ère où tout va très rapidement, avec des délais insensés, des vitesses phénoménales et un rythme effréné, nous ne prenons même plus le temps de s’ennuyer. Et pourtant.
Et pourtant quel précieux temps qu’est l’ennui ! Quelle délectation enfantine lorsque je répétais sans cesse que je m’ennuyais et que l’on me répondait « c’est bien ». Je me rends compte désormais que c’était une richesse et un tremplin pour l’évasion et la création.
Maintenant, l’humain comble ce vide avec les écrans pour faire taire ces remises en question et cette prise de recul, pour ne pas écouter ses voix intérieures de l’introspection. Et comme le dirait Cioran :
« [...] Les hommes les plus malheureux : ceux qui n’ont pas droit à l'inconscience. Avoir une conscience toujours en éveil, redéfinir sans cesse son rapport au monde, vivre dans la perpétuelle tension de la connaissance, cela revient à être perdu pour la vie. », p.50 - Sur les cimes du désespoir.
« Le savoir est un fléau, et la conscience une plaie ouverte au cœur de la vie. », p.50 - Sur les cimes du désespoir.
En d’autres termes, les gens simples qui vivent et prennent le train de la vie sans se soucier de rien : flânent sur le fil du destin sans risque de chute. Mais cette naïveté loin de la connaissance et de la conscience, n’est-ce pas là une fin fatidique de l'humanité ainsi que de son libre arbitre ?
Le malheur de l’Homme résiderait-il dans les émotions, la sensibilité et l’empathie ?
Mais si le malheur est ainsi, ne serait-il être également le bonheur de tout humain ? Car, quel plaisir que de ressentir, de se sentir vivant, de respirer, de vivre, de s’exalter, de s’exténuer, de vibrer et de danser. Dans une tentative de juste milieu et de désir ardent de vivre intensément, Sogyal Rinpoché nous rappelle l’importance dans la prise de conscience de l’impermanence :
« Imaginez une vague à la surface de la mer. Vue sous un certain angle, elle semble avoir une existence distincte, un début et une fin, une naissance et une mort. Perçue sous un autre angle, la vague n’existe pas réellement en elle-même, elle est seulement le comportement de l’eau, « vide » d’une identité séparée mais « pleine » d’eau. Si vous réfléchissez sérieusement à la vague, vous en venez à réaliser que c’est un phénomène rendu temporairement possible par le vent et l’eau, qui dépend d’un ensemble de circonstances en constante fluctuation. Vous vous apercevez également que chaque vague est reliée à toutes les autres. », p.89 - Le Livre Tibétain de la Vie et de la Mort.
La perte du libre arbitre ; de la libre pensée
Ce qui en découle de cette surconsommation excessive de divertissement tardif et matinal car, même sur notre trône intime où l’heure est à l’introspection intestinale, l’humain se délecte d’écrans à la limite de l'indécence quant à l’acte effectué durant le visionnage de ces vidéos ; c’est que l’on peut constater une recrudescence de personnes pensantes sans penser. Plus concrètement, le libre arbitre se détériore dans une sorte d’anéantissement consenti dû à de la fainéantise patente quant aux recherches nécessaires pour s’assurer de la véracité des propos, ou tout simplement, construire son propre avis.
Ayons une pensée pour Gandalf parti pendant des années pour aller trouver des informations sur l’histoire de l’Anneau unique dans des textes poussiéreux et reculés, pour pouvoir être sûr de la possession de Monsieur Sacquet. Sachons que désormais, nous n’avons plus à faire des kilomètres à cheval sur des terres hostiles et dangereuses, ayons donc la décence de prendre le temps de vérifier des informations en plusieurs clics.
Derrière cette plaque transparente où le pouce et le doigt éjectent vers le haut la vidéo suivante dans un regard vide, on se contente de commenter la bave aux lèvres, du contenu de divertissement sans grand intérêt intellectuel, nous menant à une perte conséquente de la réflexion. Il n’y a plus de débat, plus de pensées libres, plus de livres cités. Il ne reste plus que des danses ridicules (et surtout inutiles), des tutos que l’on ne va jamais faire, des vidéos “satisfying” souvent douteuses et des coups de gueule sur des bad buzz people sans grand intérêt. Fini la chaleur humaine, la frénésie des paroles échangées et de la combativité des idées, l’on se perd aisément et gaiement dans un cheminement abusif de consommation excessive d’abrutissement évident.
L’esprit vide, la main active en soubresauts maladifs, j’ai comme le sentiment que les consommateurs ne se contentent que d’un seul et unique avis, spéculant sur des choses, véhiculant de fausses informations savoureuses et délectables dû à leurs caractères improbables et critiquables. Et je pense que c’est ceci qui en devient dangereux car l’on oublie que derrière ces écrans, ces personnes publiques, ces influenceurs, ces humains, il y a des âmes sensibles, des gens à sentiments, à émotions. La méchanceté devient primauté - au détriment de la compassion et du respect d’Autrui.
Il est évident que ce genre d’article pessimiste à l’orée de la dystopie prophétique, ne soit pas une belle image de notre évolution et de l’avenir de l’humanité. Mais l’on doit se rappeler que tout bouge, tout évolue, tout se transforme et que nous ne sommes pas voués à l’échec. J’ai à cœur de croire que nous allons tendre, à un moment donné, progressivement, à petit pas de pingouin estropié, vers un éclaircissement des consciences et une reprise de soi.
Il ne s’agit pas de pointer du doigt pour critiquer, mais relever un fait qui est observable sans contestation. Mais il s’agit surtout d’un sujet de réflexion vers une prise de conscience et de recul sur ses habitudes, ainsi que de ses choix pour tendre vers un retour aux sources plus simple et plus sain :
S’ennuyer, respirer, créer et penser.
Mais aussi d’user à bon escient, de manière consciente et réfléchie, la toile vertigineuse d’internet : Se rendre compte de la richesse qu’elle peut nous fournir, ainsi que la noirceur dans laquelle elle peut nous faire sombrer.
SOURCES & POINT CULTURE
PODCAST ÉCOUTÉ :
L’Addiction au Divertissement :
La Cause du Déclin Intellectuel et Culturel :
LIVRES LUS :
CIORAN, Sur les cimes du désespoir, Editions de L’Herne, 1990.
RINPOCHÉ Sogyal, Le Livre Tibétain de la Vie et de la Mort, Le Livre de Poche, 2005
RECHERCHES COMPLÉMENTAIRES
A propos de Neil Postman :
Se distraire à en mourir - Neil Postman (1985) :
LIVRES CONSEILLÉS :
ORWELL Georges, 1984, Editions Secker & Warburg, 1949
HUXLEY Aldous, Le meilleur des mondes, Editions Chatto & Windus 1932
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