A mes gastéropodes,
C’est un soir de pleine lune où la lumière tamisée reflétait les ombres des clients désespérés que la séance allait débuter. Nous étions tous assis autour d’une table ronde sculptée en bois. Ces tables un peu vieillottes qui sentent le chêne fraîchement coupé alors que la sève ne s’en est pas écoulée depuis des années déjà. Par dessus, un petit napperon d’une couleur blanc cassé et aux dentelles effilées y était apposé.
Nous étions donc tous assis en cercle, les mains liées par ce fil invisible qu'il était formellement interdit de briser. Et dans le silence de cette nuit voilée d’une lumière dorée, se reflétait dans les yeux de la médium une flamme dansante. Une flamme bleue vacillant inlassablement vers un autre monde.
Et c’est justement vers cet autre monde que nous nous risquons. Cet entre-deux méconnu, rationalisé, dédaigné et fantasmé, redouté et craint, parfois récrié profanateur à la limite du satanisme (de par son aspect inexpliqué et blasphématoire). Laissons-nous donc embarquer par la plume de Jonathan Werber avec son premier roman sorti en 2020, « Là où les esprits ne dorment jamais ».
En 3 points → Enquête, Sœurs Fox, prestidigitation
LE CORPS DE L’OEUVRE
C’est sous l’allure d’une enquête mystérieuse que l’auteur nous guide vers ce monde qu’est le Spiritisme, un mouvement qui a pris ses racines aux États-Unis au 19e siècle.
Le Spiritisme, on en a déjà entendu parler, de près ou de loin, mais définissons-le de ce pas pour évacuer toute mauvaise interprétation : “Science occulte qui a pour objet de provoquer la manifestation des esprits par l'intermédiaire d'un médium” (CNRTL). En d’autres termes et brièvement, c’est ce désir de communiquer avec ceux qu’on a perdu, un mouvement mondial qui tire ses origines dans les années 1848.
Ainsi, Jonathan Werber nous prend la main vers un passé sombre où, aujourd’hui encore, certains passionnés du paranormal cherchent encore des réponses. Et c’est d’une manière malicieusement bien choisi qu’il choisit d’allier le paranormal à la prestidigitation, dont le personnage principal, Jenny, en exerce le métier.
« Là où les esprits ne dorment jamais » est une œuvre de fiction basée sur des faits réels, proposant une histoire ainsi qu’une fin alternative aux Sœurs Fox (notamment mais pas que). C’est une douceur littéraire qui nous fait voyager dans une époque et en des lieux non si lointains, le tout sur un chemin de fer solidement tracé.
DES PRÉLIMINAIRES EN ÉMOIS
C’est avec une précision loin d’être négative que je relève qu’il n’y a pas tant de réels passages qui m’ont fait chavirer le cœur. Il s’agit plutôt d’un coup de cœur général pour la plume, les recherches, l’interprétation et les hommages. Un délice continu qui porte notre lecture dans un regard avide de curiosité pour suivre les aventures de chacun de ces personnages. Il n’en demeure pas moins qu’une petite sélection a été effectuée pour illustrer sa manière de dire et d’écrire (car l’on perdrait tout le principe de cet article).
« Elle prit le petit stylo argenté et l’observa. A la place de la plume, il n’y avait qu’une minuscule boule.
C’est quoi, ce que vous m’avez donné là ?
Un stylo à bille. Ce n’est pas encore commercialisé, mais je connais le type qui les fabrique. Pour éviter les ratures il n’y a pas mieux, ce stylo, c'est le futur. Croyez-moi.
Elle signa maladroitement.
Je préfère les plumes.
Tout le monde préfère ce qu’il connaît déjà. »
Et je pense que, ce qu’il me plaît, c’est cette reconstitution de l’époque avec une formulation des pensées de nos jours.
« Avant de frapper, la magicienne essaya de débarrasser sa robe des traces de gazon de la veille. Mais elle savait l’effort inutile, les taches ne partiraient qu’après quelques heures passées à la grosse laverie à l’atmosphère moite en face de son appartement. L’endroit était au plus haut point insupportable à la magicienne, rempli qu’il était de femmes au regard triste, battant les vêtements dans l’eau savonneuse à l’aide de grands bâtons, seul exutoire de violence dans une existence de refoulement permanent où on leur imposait d’être douces. »
« L’amour est même venu sonner à ma porte sous les traits doux d’une marchande de fleurs qui opérait non loin. Je tairai son nom afin qu’elle ne souffre pas de mon succès, mais j’aimerais dire que son charme éclipsait la beauté de toutes les roses déployées sur son chariot ambulant. »
UN METS POUR QUELLE DILETTANTE
« Là où les esprits ne dorment jamais » est une œuvre qui peut se lire dès l’adolescence et pour les adultes, bien entendu. Néanmoins, si nous devions la comparer, cette lecture serait d’une fluidité aussi douce qu’un bavarois à la framboise fondant dans la bouche d’un amateur de dessert, éperdument épris de ce dernier. Un délice sans nom qui se prend à la cuillère, où chaque partie écumeuse se sépare dans une note nuageuse, une mousse rosée aux éclats vermillons.
UN APARTE
Je ne souhaitais pas faire mention de ce fait au premier abord, et puis après réflexion, personne n’est dans ma tête. Alors oui, Jonathan Werber est le fils de Bernard Werber, un de mes auteurs préférés (jusqu’aux derniers sortis. Oui, désolée Bernard. J’oserais même dire “donc ça…”). Et ceci est à préciser car j’ai lu l’intégralité de ses livres (sauf après épuisement, à partir de la série “Demain les chats”) et j’avoue… J’avoue avoir été déçue par les derniers, mais ceci n’est ni un reproche, ni un coup de gueule, juste un fait (très personnel).
Et ce fait est à préciser car j’avais grand hâte de découvrir Jonathan. C’est donc avec bonheur et joie que j’ai pu rencontrer son écriture et apprécier ce qu’il a pu en découler (alors oui, tout cela reste très personnel et intime, mais n’est-ce pas là que réside la beauté de cette liberté que peut offrir un blog ?).
La rédaction de cet article, premièrement effectuée au stylo à l’ancienne, a laissé couler bien de l’encre, bien des pensées et beaucoup d’émotions. Il me semble avoir tenté néanmoins d’avoir modéré mon engouement de par mes positions trop accrues puisque, qui dit fils d’un auteur préféré, dit possibilité de dénicher une belle pépite.
Je n’attendais ni miroir, ni futur flambeau Werber, loin de là. Juste un auteur à l’écriture aiguisée et aux recherches bien ficelées pour faire évader cet esprit en quête d’histoires et d’aventures. C’est fait et c’est un fait.
WERBER Jonathan. Là où les esprits ne dorment jamais. Editions Plon, 2020
SOURCE :
Définition « Spiritisme » - CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/spiritisme#:~:text=masc.-,SPIRITISME%2C%20subst,masc.&text=A.,'interm%C3%A9diaire%20d'un%20m%C3%A9dium.
Les Soeurs Fox et l’invention du Spiritisme - Radio France : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/autant-en-emporte-l-histoire/les-soeurs-fox-et-l-invention-du-spiritisme-8345060
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