Salut mes petits gastéropodes affamés,
L’on se retrouve en cette douce matinée colorée pour discutailler autour d’une pièce de théâtre. Nous avions vu tantôt celle de Marcel Pagnol avec « Jazz » une belle découverte qui fait frétiller les papilles sensibles de lecteurs affamés de découvertes ou de redécouvertes. Aujourd’hui, notre faim insatiable se tourne vers une pièce de théâtre locale. Locale non pas dans le sens où elle se déroule dans un monde réel, non pas locale non plus pour sa vérité, mais locale car son auteur l’est, et c’est avec un grand plaisir que je la présente ici.
Il est des auteurs que l’on adule, des auteurs que l’on fantasme, des auteurs que l’on craint, des auteurs que l’on hait. Et puis il y a des enseignants que l’on adore, des enseignants qui nous incitent à être curieux et à créer, et que l’on découvre par la suite qu’ils sont écrivains. C’est donc avec tendresse que je vous offre « Hina, Maui et compagnie » de Titaua Porcher des éditions Au Vent des îles de 2018.
En 3 points → Mythologie, modernité, réécriture
ANATOMIE DE L’OUVRAGE
« Hina, Maui et compagnie », c’est une pièce de théâtre en 5 tableaux autour duquel se développent 5 personnages principaux. Je précise « principaux » car d’autres gravitent autour et ont des interactions, mais ne sont pas aussi pleinement présents que cela.
C’est la réécriture ou du moins, la proposition de lecture de ce mythe fort bien connu de Hina et Maui, de leur rencontre, d’un amour hideux avec une anguille et de paroles sages qui ne seront pas écoutées, bref l’explication moult fois entendue du cocotier.
Toutefois, nous sommes ici dans une démarche de modernité, de casser ces règles jadis fortement et lourdement imposées à l’époque, comme une renaissance, une volonté de briser sa propre passion pour qu’en découle un nouveau flux, une nouvelle forme, un nouveau genre. Titaua Porcher nous parle donc avec des mots d’ici, des mots mélangés, tantôt tahitiens bien que majoritairement français, avec des expressions qui font sourire, une approche d’une jeunesse moderne pour des personnages si emblématique que l’on tenterais de définir comme intouchable puisque originaires de la culture. Elle s’est laissée aller sans pincettes ni bavette, alors laissons-nous guider sans méfiance et grande confiance.
DES PRÉLIMINAIRES EN ÉMOIS
Préliminaires en émois, préliminaires en émois, on en veut sans le demander deux fois. Alors commençons avec mon coup de cœur mignon du père au sujet de sa fille.
« Ha ha ! Je sais bien, petit margouillat. Mais c’est tout à fait toi, le reblochon. L’extrême douceur, l’onctuosité suprême et en même temps, la force et l’entêtement ! Comme ta mère ! » - John.
Nous en parlions juste avant de ce métissage linguistique, en voici un bien commun.
« Ha ha ha ! Non mais écoutez-moi le grand guerrier ! « Ouh la la ! J’étais tout barbouillé ! » Eaha tera warrior ? » - Hina.
Et si nous parlons mythologie, nous parlons évidemment de religion. Et l’approche développée juste avant le passage que j’annote, est assez osée et bien respectable car je le plussois. Osé car nous savons que la religion, au-delà de son statut originel de sacré, se retrouve doublement sacré en Polynésie, comme enrobée d’une couche de sucre, enrobée d'une seconde couche de sucre… Une véritable pomme d’amour.
« Les religions, comme les textes, sont l’ouvrage des hommes. L’élan vers Dieu, le désir de transcendance, voilà où nous nous situons. Aujourd’hui, l’humanité a changé. « Dieu est mort », nous ont dit certains. Plus de transcendance ! Plus de sacré ! Plus de cochon grillé ! Quelle tristesse ! Du coup, les hommes sont perdus ! Et du coup, certains s’efforcent de faire renaître un peu de cette crainte au sein des religions. Et certains intégristes y arrivent bien, je dois dire. » - Ta’aroa.
On notera le « du coup » intempestif et coriace de notre époque, apposé dans la bouche d’une divinité où tout prend son sens.
Terminons avec un passage qui est une ode à la littérature, bien placé, bien réfléchi et qui fait fortement sourire lorsque l’on sait que ces mots sont écrits par un enseignant.
« Je suis tellement heureux et tellement fier que tu fasses des études de lettres ! Notre époque n’en a que pour les maths ! Je pense que c’est une erreur grossière ! On apprend tellement de choses en faisant des lettres : la philosophie, le langage, l’histoire, l’âme humaine… Avec tout le respect que j’ai pour les matheux, je ne comprends pas pourquoi on n’accorde pas plus de crédit aux littéraires. » - John.
UN METS POUR QUELLE DILETTANTE
« Hina, Maui et compagnie », est une pièce de théâtre qui peut être lu à partir de l’adolescence, pour aisément découvrir notre littérature francophone polynésienne moderne. De plus, du fait que ce soit la réécriture d’un mythe si bien connu du grand public, ce livre peut avoir un ricochet considérable pour toutes les générations. En effet, parfois, mythes et légendes peuvent être perçus comme ennuyeux pour les jeunes (que la grâce leur soit accordée, ils ne sont que des jeunes en quête d’aventures), et le fait que cette écriture soit proche du langage actuel, et d’autant plus que ça soit une pièce de théâtre, cela peut à la fois leur parler car nous parlons leur langage mais aussi pour l’aspect visuel tant consommé de nos jours.
Néanmoins, pour en revenir au côté lecture, l’aspect assez familier des propos peut en déranger certains. J’avoue que, de mon côté, mes yeux ont tiqué. Mais il suffit juste d’un temps pour s’adapter (si toutefois nous le voulons). De toute manière, ce ne sont que des ressentis personnels. Le fait d’aimer une œuvre dépend des genres que l’on a communément de lire et de l’époque d’écriture. Pour ma part, j’ai une fâcheuse tendance à lire de tout et, je pense, être capable de m’adapter à moult moult lectures diverses et variées. Pour terminer, je tiens à préciser que j’ai réussi (autre aveu) à me faire emporter par le torrent passionnel de la lecture, alors prenez votre boogie et descendez cette modernité des mythes, vous en deviendrez ermite.
PORCHER, Titaua. Hina, Maui et compagnie. Au Vent des îles, 2018
Comments