Salut les Rat-Poreux curieux,
C’est avec intérêt et patience que nous reprenons le format du « Rat-Porcinet » qui, pour le rappeler, est un moment plus intimiste avec quelques personnes pour discuter d’un sujet particulier avec lequel ils sont fortement concernés. C’est ainsi donner la parole sur un sujet de discussion, qu’il soit social, artistique, spirituel, etc. plus ou moins engagé et plus ou moins personnel. Ce sont des rencontres entre une ou plusieurs personnes autour d’une thématique qui m’est venue en tête ou qui a pu être amenée à un moment donné dans le courant de l’année ou du mois.
Et pour cette présente discussion, la rencontre fut effectuée en août dernier (2024) et ne se présente à l’écrit que maintenant, pour moult et variables raisons. D’abord, le titre était plus en colère, plus impactant, sûrement putaclic, certainement trop engagé de ce qui ne l’est réellement au final, avec un terme qui peut porter à confusion et qui s’en révèle d’une certaine manière un peu fausse quoique bien ressenti de cette manière. En définitive, suite aux discussions avec les différents Rat-Poreux, nous avons opté pour : « Les obstacles omniprésents dans l’expression artistique en Polynésie ».
Cette pensée, voilà bien des années que je l’ai en esprit et qu’elle est également présente dans la caboche de beaucoup d’artistes car il s’agit bien d’une réalité qui empêche une totale expression de soi et de ses idées. A l’instar d’une censure qui nous bloque et nous interdit de parler, nous sommes assoiffés par une mer salée que l’on nous fait boire pour étouffer notre colère, bouillonnant nos coeurs d’émotions putrides qui n’attendent que d’être jetés sur la toile, les yeux aveuglés par une réalité sans nom, nos pieds trébuchant sur des racines d’arbres importés, entremêlées de plants endémiques qui continuent à nous faire des croche-pieds à chacun de nos pas essoufflés.
Tous les médiums artistiques sont concernés (musique, audiovisuel, écriture, photographie, illustration, peinture, sculpture…), aucun n’est épargné, voyons toutefois en 3 points ce que ces pensées ont à nous proposer :
La carte postale enjolivée et perpétuée
Le Dr Jekyll & Mister Hyde local
Le rejet de la nouveauté et du décalage
LA CARTE POSTALE ENJOLIVÉE ET PERPÉTUÉE
Nous en parlons régulièrement en ce présent site de cette fameuse image de la carte postale constamment remise sur le tapis, comme une sorte de préservation intime et égoïste de ce fantasme de la Polynésie. Une vieille image, vue et revue, souillée depuis des siècles d’humanité, sans toutefois réellement convenir à une réalité toujours plus grandissante et toujours plus aveuglée. Et ce qui de base, est problématique, en devient d’autant plus dramatique lorsque les artistes voulant s’exprimer sur des sujets plus engagés ou réalistes, s’en retrouvent moins représentés. Des violences sociales à la dénonciation des faits nucléaires, les « moches choses » sont mises à l’écart, peu recommandées et peu rayonnantes dans l’univers artistique et local.
« On confond beaucoup culture et tourisme ici. » - Manutea
Offrant ainsi un amalgame visuel entre la réalité et le fantasmé : entre ce qui doit être tu puisque tabou et ce qui ramène de l’argent et de la popularité.
Ainsi, les sujets exploités pour vendre l’art qui colle à l’image que l’Ailleurs a de la Polynésie, concordent avec ce qui est attendu.
« Il est très difficile de trouver des morceaux polynésiens qui expriment le sentiment de tristesse avec une vraie mélancolie dans la composition. C’est comme si, même lorsqu’on veut exprimer ce sentiment de tristesse, on doit le faire avec le sourire, rester accueillants. » - Niuhiti
La musique locale se voit dansée, heureuse, joyeuse et chaleureuse, loin des messages de mort, de douleur et de solitude, pourtant bien présents, mais pas du tout mis en avant. Nous nous retrouvons donc englués dans une image imposée avec des directives clairement énoncée : « Fige-toi dans la carte postale, met en avant ta culture, tu restes un guerrier donc un peu de colère ça ne fait pas trop de mal, mais on est surtout un peuple très accueillant, Beau, avec une nature généreuse ».
Au final, le problème n’est pas tant dans la « l’image de la carte postale » (puisque chacun fait ce qu’il veut finalement), mais c’est surtout dans la destruction du message des artistes trop bavards et trop émotionnels. Là où l’Ailleurs a le droit de crier dans le sang, le nôtre doit rester dans nos veines pour ne pas souiller le carrelage fraîchement posé du front de mer.
LE DR JEKYLL & MISTER HYDE LOCAL
De ma perception, le Dr Jekyll & Mister Hyde local, ce sont ces artistes qui se retrouvent de la même manière, le cul entre deux chaises : le gentil local qui fait des tableaux tout pleins de couleurs avec les éternels paysages bleus et bleus. Et de l’autre côté, l’autochtone fatigué et passionné, qui souhaite faire vibrer l’Histoire et remémorer les cicatrices profondes que jamais l’on n’oubliera.
« J’ai l’impression qu’il faut toujours ramener cette image de tradition. Ce que tu dois faire, doit toujours être mis dans quelque chose de traditionnel. » - Manutea
« L’aspect touristique est constamment imposé par les grandes institutions qui financent les projets qui pourraient s’exporter. Et en même temps, ces mêmes institutions se battent pour que leur culture fondamentale ne soit pas effacée. Donc elles entrent constamment en coercion. » - Cartouche
Ce n’est plus seulement l’artiste qui est en blocage quant à l’expression de ses messages, mais tout le monde. Il faut préserver, il faut perpétuer, et en même temps il faut que ça parle, il faut que ça soit beau et épique. Un sorte de jonglage en slackline au-dessus d’un gouffre sans fond, qui nous tend irrésistiblement vers la droite et la gauche, nous faisant ainsi perdre l’équilibre dans cette tentative de juste milieu parfait et qui convient à toutes les Parties. Allant jusqu’à même inclure des contraintes que je trouve totalement absurdes :
Ne sont pas éligibles : « les productions de nature à porter atteinte à l’image de la Polynésie française ; »
LE REJET DE LA NOUVEAUTÉ ET DU DÉCALAGE
Pour terminer ce, quand même long, papier au sujet de l’expression artistique en Polynésie, je trouvais cela pertinent de soulever la problématique de la nouveauté qui est malheureusement très peu bien accueillie sur le territoire.
« J’ai fait une tentative de déposer des Fanzine dans les librairies locales mais ces dernières n’étaient pas réceptives à ce format (par rapport au fait d’avoir des livres différents). » - Margaux
Lorsque l’on parle de décalage, j'ai cette pensée à ces éternels clips vidéos passant sur les télés des supermarchés, ainsi que cette même playlist inchangée depuis 10 ans qui passe dans les bars, comme une cassette rouillée que l’on rembobine au doigt malgré les bandes desséchées.
On a peur de ce qui est différent et qui ne rentre pas dans les « normes » (soit, ces cases qui rassurent).
« (Au Pays de Galles) C’est un système qui cherche la différence, ils sont à l'affût. Même le péquenaud du quartier là-bas, s’il fait un truc, qu’il enregistre bien avec les standards de la radio, il trouvera sa voie. Il sera écouté d’une manière ou d’une autre, ce qui n’est pas le cas ici. Ici, tu as l’impression que pour le faire il faut percer, il faut faire le buzz… C’est très français. » - Niuhiti
« Il faut beaucoup plus se mettre en avant. » - Margaux
« Je suis persuadé que c’est une sorte de système élitiste français qui te met en compétition avec ton voisin alors que ça n’a même pas lieu d’être. » - Niuhiti
Sauf que direct, toi tu veux le prestige.
On nous limite à ce système.
Amenant alors à la problématique des réseaux sociaux, avec la surconsommation abusive de ce que l’art peut offrir (offrant majoritairement de la malbouffe surexploitée, surproduite, dans des délais inhumains, souvent aidé par le Skynet 4.0 : L’ « I.A »).
Il s’agit de sortir des musiques/tableaux/photos/vidéos directement sur Facebook ; avec toujours plus de like, toujours plus de buzz ; sur Instagram sur TikTok ; bon buzz bad buzz ; il faut toujours plus. Créant une réelle perte de la valeur et de l’authenticité dans la créativité. Il faut vendre, alors il faut faire des sujets vendeurs.
« Mais tu n’es pas là pour la vendre mais pour la faire ressentir. » - Niuhiti
Nous avons dit beaucoup de choses, nous avons soulevé beaucoup de sujets, avec de nombreux points approfondis grâce à l’expérience et le savoir de chacun. Pour cela, ce n’est qu’une façade et un choix de quelques propos relevés durant cet échange qui fut 1 heure d’enregistrement audio avec les voix de ces Rat-Poreux. Nous ne pouvons malheureusement pas tout dire dans un article, nous ne pouvons pas non plus trop s’étaler mais voilà des idées écrites, des pensées qui sont scellées dans la feuille numérique de ce blog.
J’espère toutefois que cet article a pu soulever des points inconnus, méconnus voire totalement délaissés et qu’il a pu satisfaire certains artistes ou sensibles de l’art, mais j’espère surtout et qu’en aucun cas, cela puisse dissuader qui que ce soit pour l’expression de son art. Car, pour le rappeler, on ne fait pas de l’art pour les autres, on le fait pour SOI. On ne produit pas quelque chose dans le but de satisfaire une audience avec ses attentes et ses besoins. Il faut avant tout et surtout rester authentique, maintenir ses positions, ses idéologies et ses valeurs, au risque d’être censuré, de ne pas être vu ni entendu. Car dans ce fatras de restrictions et d’informations, une audience véritable vous attend, avec les mêmes valeurs et les idéologies que vous, avec cet amour sincère pour vous soutenir, quelque soit les galères. Ils sont là tapis dans l’ombre et c’est dans l’ombre que la lumière s’immisce bien régulièrement, il suffit d’attendre, de continuer et de persister.
« C’est en restant dans la profondeur de ses propos qu’un écho de splendeur traversera les flots les plus tumultueux du rayonnement artistique. » - Maanu.
LOVE.
SOURCES
DGEN - Soutien à la création cinématographique et audiovisuelle : https://www.service-public.pf/dgen/soutien-a-la-creation-cinematographique-et-audiovisuelle-scca/
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