Bonjour les gastéropodes décadents,

Lire un livre, c’est comme suivre du doigt le sillage d’une pensée : imperceptible.
Les livres, ce sont des rencontres et des échanges autour d’une table, au creux d’une rivière, à l’orée d’un bois ou à la croisée d’un chemin. Et celui que nous allons découvrir aujourd’hui, c’est un bout de papier légué, chaleureusement échangé par la passion des livres et l’envie de découvrir : partir à la conquête de nouveaux cieux, de nouvelles voix et de nouvelles pensées.
Au moment de l’échange, je ne savais pas ce qui m’attendait, je l’ai pris car on parle de psychologie et d’art. L’art, il se trotte dans ma tête depuis que je tiens un crayon en main. La psychologie, c’est une passion insensée depuis l’adolescence, avec des recherches tardives et des lectures incessantes sur des troubles passionnants bien que terribles. Un sorte de comble pour une littéraire passionnée de mots et pourtant allergique aux chiffres et aux sciences, un aspect encore obscur que seul l’inconscient peut nous livrer.
Partons donc de ce pas à la découverte d’un roman bleu aux couleurs de la créativité. Faisons place à « L’enfant bleu » écrit par Henry Bauchau, une édition Actes Sud de 2004.
En 3 points → Psychologie, Art, langage
LE CORPS DE L’OEUVRE
Ce qui m’a beaucoup troublé dans cette lecture, c’est la passion de poursuivre. Cette envie de découvrir la fin, de faire sa propre analyse sur le personnage, d’essayer d’apercevoir la suite de la thérapie sans toutefois entrevoir une possible continuité. On parcourt l’esprit d’une thérapeute et de son patient qui allie l’art et la psychologie dans l’expression d’un langage qui peine à se faire entendre et comprendre. L’art pour exprimer ce qu’il y a dans la tête, pour dire ce que l’on ne sait pas dire, pour crier les émotions et apaiser les colères. Je ne pensais pas que cette lecture allait m’aspirer de la sorte et surtout, qu’elle allait m’apporter des réponses à des questions muettes et ignorées.
Les mots simples, les phrases déconstruites et les mots inventés par le personnage trouble du nom d’Orion, étaient comme un langage évident lorsqu’on le lisait, comme un langage que l’on connaissait déjà et que l’on parlait sans le savoir. Je me suis même surprise à parler de la sorte dans mon esprit, vite reconquise par la conscience et le contexte dans lequel j’évoluais. La lecture m’a prise et je me suis engloutie dans les vagues de la maladie et de la thérapie, dans un ressac incessant de perturbations mentales et d’angoisses, d’un enfant sujet à des crises psychotiques.

J’ai compris les silences et les dessins, je me suis laissée emportée par cet enfant détaché de la société, représentant ces personnes inadaptées, handicapées, différentes, poursuivi par un « on » impersonnel le qualifiant « d’être à part », bouleversé par les autres, brisé par la violence et les mots des enfants méchants.
DES PRÉLIMINAIRES EN ÉMOIS
J’ai ouvert une porte à ma créativité grâce aux phrases dites par le personnage principal, comme une réponse à une question que je n’ai jamais posée, mais qui m’a toujours bloqué dans mon expression à travers le dessin.
« C’est de mon imagination que viennent les œuvres. On ne peut pas les connaître à l’avance. Il faut d’abord qu’on les voie dans sa tête, on travaille au fur et à mesure que l’imagination les montre. On ne peut pas copier la nature, il faut qu’elle vienne d’abord, pas tout à fait comme elle est en photo, dans ma tête. », p.305 - Orion.
Désormais, les images dans ma tête sont plus claires alors qu’avant cette lecture, je ne pouvais discerner un trait net de ce que je voulais effectuer : comme un blocage inconscient qui met un voile flou sur mon imaginaire du dessin.
Mais sinon, revenons un peu plus à notre cas, qu’est la composition de cette lecture, notamment la perception de notre patient :
« “DICTÉE D’ANGOISSE NUMÉRO UN” [...] “En partant ce matin on a tout de suite été bazardé, l’autobus n’étais pas à l’heure et quand il arrivait il s’arrêtait tout près de moi en aboyant comme s’il allait mordre. On a pensé que papa aurait dit qu’il ne peut pas aboyer car c’est un autobus et pas chien… Tout de même, il aboyait et même il voulait me mordre, mais il ne l’a pas fait.” », p.91 - Orion.

« [...] je laisse déborder ma colère : “Pas de dictée aujourd’hui ! Je ne peux plus supporter tes cris : que de fautes ! Des fautes, tout le monde en fait, ça n’empêche pas de vivre et d’être heureux. Tu peux vivre avec une mauvaise orthographe. Ce qui est important pour toi c’est de dessiner, d’apprendre de nouveaux mots. De vivre en liberté.” », p.90 - Véronique (psychothérapeute).
Et au sujet des harceleurs intimidateurs :
« Alors il dit : Tu ne sais même pas ton nom, un vrai débile ! On dit : Orion. Ce n’est pas un nom français ça. Si, c’est un nom français. On est français, moi, mais on ne pouvait pas le dire. On sentait que les mots n'étaient pas sûrs, méchants peut-être et qu’on allait faire rire de soi en répondant si on parlait. On s’est tourné du côté du mur et on pleurait parce qu’on ne pouvait même pas dire qu’on était français comme les autres. On était comme les autres, mais les autres ne le voyaient pas. », p.280
Quant à l’art et ses éternelles phrases-types que l’on entend encore et encore :
« - Tout de même, il peint maintenant, il sculpte, il expose. - Artiste, ce n’est pas un vrai métier. Si après son stage il pouvait être embauché à l’essai, ce serait mieux. », p.228
UN METS POUR QUELLE DILETTANTE
Ce roman, d'une taille raisonnable, est une lecture pour les adultes et les adolescents. La manière d’écrire est fort aisée aux yeux, fluide au toucher et à la compréhension, agréable pour l’esprit qui souhaite s’évader. C’est un roman à la fois doux et difficile pour les non initiés (peut-être ?) à la psychologie et ses troubles mentaux. Je ne pourrais m’avancer sur la sensibilité de chacun étant donné que ma passion pour la psycho est assez grande, et donc mes recherches sont nombreuses quant aux pathologies, traumatismes et violences psychologiques possibles. Je dirais toutefois que ce n’est pas trop dur dans le sens où cela n’évoque pas de violences s*xuelles, bien que le sujet de pensée s*cidaires soit présent, sans toutefois passage à l’acte.
Pour tout dire, j’ai choisi cette lecture, à la base, car je voulais quelque chose pour m’évader, de « pas trop sérieux » comme l’étaient pour moi « Le Seigneur des Anneaux, tome 2 » et « Le Messie récalcitrant ». Je cherchais donc une lecture transition, sans prise de tête et agréable. Je fus comblée.
Encore faut-il que cette perception soit semblable pour tous, ce qui n’est pas le cas.
Je pense avoir dit ce qu’il fallait, on se dit à très vite pour de nouvelles aventures littéraires et artistiques, que cela soit pour le rendez-vous du Lundi-littéraire ou du Rat-Porc.

BAUCHAU Henry, L’enfant bleu, éditions Actes Sud, 2004
Comments